Les demandes de passage gratuit pour Madagascar (1)

            L’un des objectifs de la colonisation est de mettre en valeur les terres du territoire colonisé. Il est donc nécessaire pour les autorités coloniales de faire venir des colons qui vont travailler ces terres. Certes, il y a des colons volontaires.  Mais ils ne sont pas assez nombreux pour exploiter l'immensité du domaine colonial français. Alors, les promoteurs de la colonisation essaient de trouver des solutions. On en retrouve quelques unes dans l'ouvrage de Charles LEMIRE, « Le peuplement de nos colonies, Madagascar, Indochine française, Nouvelle Calédonie, Congo, Tunisie, Djibouti » 4ème édition, 1900. Les partisans de la colonisation, ont de nombreuses idées. On peut en citer quelques-unes : 

  • Faire promouvoir Madagascar par l’intermédiaire des colons déjà installés. L'idée est de les inciter à faire venir leurs proches, en échange de nouvelles concessions. Le soucis est, que les autorités exigent que ces nouveaux-venus possèdent un capital de 5000 francs (l’équivalent de 12 000€) pour obtenir cette concession.
  • Envoyer de jeunes campagnardes pour permettre aux colons célibataires installés de fonder une famille. On a songé à offrir un trousseau de 300 francs, une provision de 100 francs et d’une somme de 50 francs pour le voyage qui serait assuré par l’Office colonial. Avec des crédits de 100 000 francs, on constituerait 200 familles selon Charles LEMIRE.
  • Installer des familles originaires d’Alsace-Lorraine (occupé depuis 1870 par les Allemands) et des familles réunionnaises auxquelles on donnera 60 000 hectares de concessions de terre. 
  • Envoyer à l’âge adulte, une partie des enfants trouvés, abandonnés ou orphelins, notamment ceux de la ville de Paris. En 1900, la capitale s’occupe de 37 000 pupilles. L'auteur parle d’une « intéressante pépinière de colons » 

            Mais deux solutions dominent. La première de ces solutions, est de permettre aux soldats déjà présents dans les colonies, de s’installer dans les colonies à la fin de leur engagement en leur donnant des concessions de terre dans l’Imerina et le Betsileo (les autres régions de Madagascar ne sont pas concernées). Cela concerne aussi les soldats de la légion étrangère qui devront néanmoins demander à obtenir la nationalité française. Ils devront avoir des fonds pour s’installer. Ils pourront aussi obtenir des subventions de toute nature qui auront pour objectif unique l’amélioration du fonds et sa mise en valeur. Un arrêté sur la colonisation militaire sera promulgué par le gouvernement général de Madagascar, le 21 avril 1899 accompagné d'une circulaire du 21 juin de la même année.

            La deuxième solution, c’est d’aider des civils à s’installer dans les colonies, moyennant un certain nombre d’avantages, comme offrir le billet de bateau à des gens ayant peu de ressources financières. 

Les demandes de passages gratuits à travers les dossiers des archives départementales du Gard. 

        On trouve aux archives départementales des demandes de passage gratuit vers les colonies. Les archives départementales du Gard conservent ces demandes dans la série M (AD30 / 6M410). A part un dossier déposé en 1905, tous les autres dossiers datent de la période de 1896 à 1898. Par définition, ces « demandes de passage gratuit » concernent des gens qui ont peu de moyens financiers et qui pour, réaliser leur projet, demande l’aide de l’administration française. Ceux qui peuvent se payer un billet de bateau et possède quelques capitaux à investir, ne figurent donc pas dans ces dossiers. 

Extrait d'une demande de passage gratuit pour Madagascar

Quels sont les renseignements demandés par l’administration pour le traitement de leur dossier ? 

Ce sont les noms, prénoms, date et lieu de naissance, adresse, situation familiale du demandeur (mariage, enfants), la profession actuelle ainsi que les anciens métiers qui permettent de retracer le parcours professionnel du demandeur. A t’il fait son service militaire ou non, et si oui, combien de temps et dans quelle unité a t'il servi ? A t'il déjà séjourné dans les colonies. On demande aussi des renseignements sur son instruction et sur sa constitution physique. Va-t-il être capable de supporter le climat tropical ? Et il y a les conclusions d’une enquête de police, sur sa tenue et sa moralité parfois soutenu par des lettres d’appui.

 

Combien de dossiers dans le Gard

On dénombre 27 dossiers de demande de passage concernant 27 hommes, 14 femmes et 15 enfants, soit un total de 56 individus. Mais sur ces 27 demandes de passage gratuit pour Madagascar, 3 demandeurs ont renoncé à leur demande, avant même que leur dossier ne soit instruit par les services de la préfecture du Gard et du ministère des Colonies.

Nous n’avons donc que 24 dossiers de passage ayant reçu un avis de l’administration.  Un requérant n’a pas attendu l’avis de l’administration. Il a quitté Nîmes pour Marseille où il s’est embarqué pour les colonies. Est-ce Madagascar ou une autre colonie ? Le dossier de ne le mentionne pas

Trois dossiers obtiennent un avis défavorable. Pour l’un, le dossier mentionne qu’il « est peu intelligent et manque d’initiative. Il est peu apte à faire un bon colon » Pour deux autres, on doute de la moralité des deux requérants. Les deux hommes sont séparés et l’un serait en instance de divorce. Ces séparations font douter les autorités de leur moralité et du comportement général des requérants.  

Il reste donc 20 dossiers ayant reçu un avis favorable de la part de l’administration. Que nous apprennent-ils sur les requérants ? 

Extrait dossier de demande de passage gratuit d'Alexandre Chilier
Demande d'Alexandre Chilier (AD30 - 6M410)

Les informations sur les demandeurs :

  • L’âge : la moyenne d’âge des demandeurs est de 34 ans. Les deux plus âgés, ont 46 ans et le plus jeune a 24 ans. Ce sont des hommes qui ont déjà un passé, qui, la plupart, sont mariés et ont une vie professionnelle, parfois un peu compliqué (l’un des demandeurs a fait faillite)
  • Les professions : les professions agricoles dominent puisque cinq demandeurs travaillent directement dans l’agriculture. C’est un quart des demandeurs ayant reçu un avis favorable. Les dossiers de ces personnes sont étudiés avec une certaine bienveillance, comme les dossiers des frères ROUVIERE. Pour les deux, l’avis est le suivant « Il connaît très bien tous les travaux agricoles. Avis favorable ». On trouve deux ouvrier-boulanger ainsi qu’un boulanger. Les requérants exercent surtout des professions artisanales. Nous trouvons un menuisier, un ouvrier charpentier, un ouvrier menuisier, un menuisier, un terrassier, un peintre sur verre … Deux des demandeurs travaillent dans le commerce comme employé ou voyageur de commerce. Il y a un inspecteur d’assurance dont la demande est appuyée par une lettre du député Malzac. Ce demandeur était un proche des milieux politiques. Le dossier raconte que c’est un ancien boulangiste (partisan du général Boulanger) repenti. Veut-il partir pour Madagascar pour se faire oublier ? Enfin deux demandeurs sont, au moment du dépôt de leur dossier, sans emploi. L’un des deux a été comptable et a servi pendant 18 mois dans l’infanterie de marine. L’autre a été jardinier-fleuriste et bénéficie d’une bonne réputation. Ces deux demandes vont être acceptées. 
Dossier de renseignements sur les demandes de passage gratuit pour Madagascar
  • Leur connaissance des colonies : pour que la demande puisse avoir un avis favorable, il est préférable pour le requérant d’avoir séjourné aux colonies. Dans les informations, il y a la situation militaire du demandeur. Presque tous ont fait leur service militaire (deux exemptés pour une fracture de la cheville et pour être le fils aîné d’une veuve) et ont même participé à des expéditions coloniales. C’est le cas de Jean FOSSE, sous-officier d’artillerie qui a participé à l’expédition du Tonkin. C’est aussi le cas de Joseph BONNET qui a servi au 4ème Régiment de Zouaves à Tunis, d’Albin Arthur PUECH, qui a passé 2 ans et demi en Afrique au 3ème Bataillon d’Infanterie légère d’Afrique, de Casimir CHALBOS, au 5ème Bataillon d’Infanterie légère d’Afrique (Tunisie) et de Frédéric NIEL du 120ème de ligne qui a fait deux ans de campagne en Afrique. D’après les renseignements fournis, trois autres demandeurs ont séjourné aux colonies, comme Charles COMTE qui a voyagé en Sardaigne, en Espagne et au Siam (Thaïlande), Louis JALABERT et Clovis ROUVIERE. 

Une politique coloniale de peuplement inefficace et inutile.

Pour avoir un avis favorable de l’administration, il est donc préférable d’être stable sur le plan privé et dans la vie professionnelle. On veut des hommes travailleurs, ayant une bonne moralité (l’administration ne veut pas envoyer de bagnards, de condamnés comme en Guyane ou en Nouvelle-Calédonie). Il faut avoir une bonne constitution car l’administration craint que les fièvres tropicales annihilent rapidement les efforts de colonisation de Madagascar, et ceux qui ont séjourné en Afrique et en Asie ont montré qu’ils savaient résister aux climats chauds et humides.  

Mais l’avis favorable de l’administration n’est pas un gage de départ pour Madagascar. Car ces départs sont liés aux crédits budgétaires votés par l’Assemblée Nationales. En 1897, les crédits d’émigration se sont élevés à 75 000 francs. Mais ces crédits sont épuisés dès la fin de l’été. Pour 1898, le Ministère propose une augmentation des crédits et une somme globale de 100 000 francs.  Le Parlement n’accepte pas et vote même une diminution des crédits de 5000 francs, par rapport à l’année précédente, pour atteindre la somme de 70 000 francs. Il n’y a plus de passage gratuit à partir de la fin du mois de septembre 1898. Des statistiques données par Charles LEMIRE, montre que sur les 9 premiers mois de l’année 1898, 52 personnes, hommes, femmes et enfants ont auront obtenu leur billet de bateau pour Madagascar. 

Sur les 20 avis favorables de l’administration, combien de postulants sont finalement montés sur un bateau à destination de Madagascar ? J’ai utilisé deux sources pour en savoir plus. La première source, ce sont les registres matricules, qui indiquent les différentes adresses des réservistes de l’armée. Sur les 20 requérants ayant obtenu un avis favorable, j’ai trouvé les registres de 14 hommes.  Aucun registre ne donne une adresse à Madagascar ou même dans les colonies. La deuxième source, c’est l’annuaire de Madagascar.  On retrouve trois noms présents dans l’annuaire des colons de Madagascar de 1901 et dans les dossiers de demandes de passage gratuit. Il s’agit de BONNET, COMTE et GIBERT. Mais aucun de ces colons ne semblent correspondre aux dossiers conservés aux archives départementales du Gard.

Il semble donc qu’aucun des hommes voulant quitter le Gard ne se soient installés à Madagascar. Est-ce pareil pour les autres départements ? 

N'hésitez pas à faire vos commentaires et à m'écrire à cfd@genealogiste.pro  

 

 

2 commentaires:

  1. Merci pour cet article. Est qu'il y a ces dossiers dans tous les départements français ?

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  2. Bonjour, merci pour votre commentaire. En principe, ces dossiers devraient être conservés en série M dans la plupart des dépôts d'archives départementaux. Je viens de retrouver dans mes archives, les photos des demandes de passage gratuit, conservés aux archives de l'Hérault. Mais dans certains départements, ces dossiers n'existent pas (je crois que c'est le cas en Lozère et en Ardèche), soit parce qu'ils ont été détruits, soit parce qu'il n'y a jamais eu de demandes de passage gratuit dans ces départements. Il serait intéressant d'étudier les demandes conservées aux archives départementales des Bouches-du-Rhône. Comme Marseille était le principal port d'embarquement à destination de Madagascar, les demandes sont peut-être nombreuses dans ce département. Dans les prochaines semaines, je publierai un article sur les demandes de l'Hérault.

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